L’ Artisanat nous fait du bien ….
Toutes celles et ceux qui ont été un jour en Amérique-Latine ont pu être séduits par son artisanat, ses couleurs naturelles ou chatoyantes selon la région, ses motifs « ethniques » hérités de leur histoire culturelle et spirituelle, ou encore par la diversité immense de techniques qui donnent vie à de multiples objets et textiles décoratifs ou utilitaires.
Combien d’entre nous ont déjà échappé de justesse ou, pire, ont dû s’affranchir au retour d’une taxe de « surpoids » de leur valise, parce qu’ils avaient rempli leurs bagages de toutes ces pièces artisanales dénichées en chemin?
Vous êtes-vous déjà demandés pourquoi, lorsque nous partons dans ces pays, quelque soit la destination, ces objets exerçaient sur nous autant de fascination et ce qui nous poussait à ramener toutes ces trouvailles avec nous ?
Ils ont certainement une utilité immédiate : décorer notre intérieure, faire un cadeau, alimenter une collection, être portés le temps que le deuil de notre voyage se fasse….. Parfois ils sont parfaitement inutiles, achetés sous le coup de l’émotion et l’adrénaline du voyage, ils n’ont d’autre destinée que d’être posés sur une étagère, ou parfois rangés dans une boîte en attendant d’être ressortis pour une occasion spéciale.
Qu’ils soient utiles ou inutiles, qu’est ce qui nous pousse donc à les acheter ? Ne serait-ce pas, parce d’une certaine façon, ils nous rendent heureux ?
Vous avez été nombreux et nombreuses à répondre à nos questions sur Instagram, et nous vous en remercions ! A l’unanimité vous avez répondu que l’achat de pièces d’artisanat vous permettait de voyager, de vous évader, et vous donnait également le sentiment d’être utiles. Vous êtes également conscients et conscientes qu’une pièce fabriquée à la main a bien plus de valeur qu’un objet fabriqué industriellement.
Je vous propose à travers cet article d’aller plus loin, et d’entreprendre ensemble une réflexion plus profonde sur qui nous sommes en tant que consommateur, ce que nous cherchons réellement et notre rôle à chacun ….. et ce qui nous rend heureux.
L’Artisanat, une invitation au voyage
Nous les achetons parce qu’en réalité ces objets que nous ramenons sont bien plus que des objets car ils suscitent en nous une série d’émotions, de sentiments, de ressentis qui eux n’ont pas de prix. Nous en avons plus ou moins conscience.
Ces pièces d’artisanat, si parfaitement imparfaites, nous aident à voyager et à nous évader d’un simple regard, c’est indéniable et vous nous l’avez rappelé. Elles nous permettent d’associer à ces objets un souvenir, une anecdote, une rencontre, un peu comme une photo de voyage, et de prolonger ou se remémorer une fois de retour ces moments heureux.
L’Artisanat nous donne le sentiment d’être utile
Mais plus encore, elles ont un impact direct sur notre « estime de soi ». Ces pièces d’ artisanat nous donnent le sentiment d’être utile.
Dans une société où les tâches ont été tellement fragmentées et nos compétences spécialisées, nous travaillons parfois sans même avoir la notion de la portée de nos actes. Ce que nous faisons vient s’ajouter à une multitude d’actions complémentaires pour servir la finalité économique de l’entreprise, sans que nous soyons en mesure de mesurer notre impact direct sur l’humain et le quotidien des gens. Ce manque de connexion entre nos actes et ce qu’ils créent réellement comme valeur pour notre prochain, notre voisin ou nous-même est à l’origine d’une perte de sens, un mal-être qui atteint un nombre croissant d’entre nous …
Sans vouloir extrapoler davantage, il me semble que cet achat nous donne le sentiment tout simplement d’être utile et solidaire. Parce qu’en achetant une pièce à un artisan, outre la satisfaction de posséder un bel objet singulier et différent, on a le sentiment de l’aider et on en est fier. La relation se crée directement entre lui et nous. On éprouve la satisfaction qu’en achetant cet objet on contribue à notre échelle à lui donner une source de revenu qui lui permettra directement d’acheter de quoi manger le lendemain, d’envoyer son enfant à l’école, de racheter le matériel qui lui permettra de fabriquer la prochaine pièce, et de vivre dignement, tout simplement.
C’est bien ce rapport aux choses et aux émotions qu’elles suscitent en nous à chaque fois que nous nous y intéressons et décidons de les posséder, qui devraient nous animer et nous satisfaire tout autant que l’objet lui-même.
Valoriser l’artisan et se valoriser
Acheter un objet à un artisan c’est aussi sans nul doute le valoriser et se valoriser. C’est reconnaître son habilité, son sens des couleurs, sa patience, sa passion, ce qui bien souvent le définit, à travers un acte aussi simple que celui de choisir et acheter. C’est lui permettre d’exister et le légitimer.
Et en valorisant les autres, on se valorise soi-même à plusieurs niveaux. D’abord parce que acheter « utile » nous valorise. Nous faisons preuve de générosité, de profondeur et de considération envers l’autre et son travail.
Ensuite parce que s’intéresser à l’autre nous valorise également humainement. L’achat d’un objet fabriqué à la main est un moment d’échange interculturel, au delà de la barrière de la langue et de notre appartenance ethnique ou géographique. La confection d’objets artisanaux est dans la grande majorité encrée dans des traditions, nous nous enrichissons en nous intéressant à leur histoire, au contact de l’autre, de sa différence, par nos questions et leurs réponses.
Lorsque l’on achète un objet artisanal c’est tout cela que nous ramenons chez nous. Cet objet nous fait du bien et nous grandit. Un objet artisanal est donc bien plus qu’un simple objet. Et c’est bien ce rapport aux choses et aux émotions qu’elles suscitent en nous à chaque fois que nous nous y intéressons et décidons de les posséder, qui devraient nous animer et nous satisfaire tout autant que l’objet lui-même.
La Fast Fashion vs. L’ Artisanat
Or la société actuelle et nos modes de consommation nous ont éloignés de cette démarche enrichissante et de ces plaisirs simples et authentiques qui nous encrent un peu plus dans notre humanité. La Fast Fashion a déshumanisé l’objet, elle nous a anesthésié d’une certaine façon.
Le triptyque infernal du « acheter, utiliser, jeter » a banalisé l’objet et lui a ôté son histoire et les émotions constructives et enrichissantes qu’il devrait véhiculer, et a une plus grande échelle, elle nous pousse à notre perte. Celle de notre planète, lorsqu’on considère que l’industrie de la mode est l’une des plus polluantes au monde tant en raison de ses procédés de production que des déchets immenses qu’elle occasionne, mais également en ce qu’elle nous appauvrie humainement. Nous acceptons d’acheter des vêtements ou des objets à un prix totalement déconnecté des réalités, incapables de permettre à ceux qui les produisent d’en vivre dignement. Et parce qu’il existe tellement de distance et d’intermédiaires entre eux et nous, nous nous détachons le plus souvent de la détresse humaine qu’ils alimentent. En d’autres termes, nous n’achetons ni une expérience, ni une histoire, ni un échange, ni de la fierté, ni de l’estime et de la satisfaction, mais simplement un objet.
Si l’artisanat au sens large nous fait du bien, alors pourquoi l’a-t-on sorti de notre mode de consommation et comment faire pour lui redonner la place qu’il mérite ?
Les artisans, les oubliés de la Mode
Un des grands drames de la mode (prise dans sa globalité) aujourd’hui, est d’avoir sorti l’artisanat, et au sens large le travail fait à la main, des procédés de production et d’avoir tourné le dos à ses origines, en quelques sortes. Non seulement elle a marginalisé les artisans, mais parfois elle est allé jusqu’à délocaliser leurs techniques et leur identités visuelles et graphiques pour les reproduire à grande échelle selon des procédés et dans des lieux qui n’ont plus rien à voir avec ceux de leurs auteurs. C’est ce que l’on appelle l’appropriation culturelle (vous pouvez lire à ce sujet cet article publié par Oxfam en cliquant ICI)
Lorsque nous achetons un vêtement ou un objet de Fast Fashion, nous n’achetons ni une expérience, ni une histoire, ni un échange, ni de la fierté, ni de l’estime et de la satisfaction, mais simplement un objet.
L’Artisanat victime de la politique des prix bas
Cette marginalisation est le résultat d’une équation à laquelle répond la mode aujourd’hui, et plus précisément la « Fast Fashion » : « contrôle des coûts et méthodes de production, quantités, prix de vente bas ». Les marques de « luxe accessible » suivent le même raisonnement sauf qu’en travaillant davantage sur leur image de marque et en privilégiant des matières un peu plus qualitatives, elles ont pu augmenter leurs prix de vente en décuplant leurs marges.
Le travail à la main, et l’artisanat en général, est au contraire un travail lent qui demande du temps et limite donc le nombre de pièces produites. On peut alors parlé d’exclusivité. Non pas celle créée artificiellement par le marketing qui fera la promotion de « séries spéciales ou limitées », mais la véritable exclusivité. Celle inhérente au nombre de pièces produites en réponse à un mode de production humain déterminé qui demande du temps. Et parce que chaque pièce produite à la main est unique.
Il est également beaucoup plus difficile de « rationnaliser » un travail artisanal. Lorsque vous travaillez avec des artisans à l’étranger, comme en Amérique-Latine, vous devez respecter leur indépendance, leur rythme de vie, leurs obligations familiales et culturelles. La majorité d’entre eux sont des personnes peu connectées à la technologie. On est très loin des exigences d’optimisation de l’outil de production et des coûts appliquée aujourd’hui dans l’industrie de la mode.
Enfin, lorsque vous travaillez avec ces artisans, c’est lui qui fixe son prix. Un prix qui tente de faire la balance entre son temps de travail, le prix des matières et les réalités du marché. Il s’agit d’un prix juste.
Alors vous l’aurez compris, tous ces éléments impactent le prix de vente pour le consommateur. Et si l’Artisanat a été écarté aujourd’hui de notre mode de consommation, c’est principalement pour cette raison.
S’engager en tant que créateur et consommateur pour une mode plus « heureuse ».
Lorsque j’ai créé YACANA afin de valoriser et remettre au goût du jour des savoir-faire traditionnels en appuyant localement des artisans en Amérique-Latine, j’ai accepté de vendre moins. J’ai également accepté de vendre plus cher que des produits de fast fashion ou à des prix similaires à ceux du luxe accessible, mais tout en margeant moins, au risque de lancer ma marque à contre courant. Il est en effet beaucoup plus facile de lancer une marque avec des produits d’appel très accessibles en prix et sur lesquels vous margez beaucoup, que je lancer de « 0 » une marque éthique haut de gamme.
Et pourtant, je crois en mon projet. Je crois que l’artisanat a le potentiel, sous une forme ou sous une autre, de revenir au cœur de nos procédés de production, parce qu’il nous fait du bien, parce que la qualité des pièces est inégalée, parce que nous sommes tous concernés par la préservation de notre patrimoine immatériel.
Comment ? Tout simplement en choisissant de consommant autrement. Nous devons arriver à nous déprogrammer de la surconsommation, pour consommer moins mais mieux. Consommer mieux, c’est consommer de façon qualitative, consciente, humaine et responsable.
Concrètement ? Si nous le pouvons, préférer investir dans un pull qui nous durera 10 ans et que nous serons fiers de porter tous les jours, plutôt que 200 EUR dans l’achat de 4 ou 5 pulls d’une durée de vie de 1 ou 2 saisons, et qui ne seront portés que quelques fois avant d’être oubliés sous la pile de vêtements.
Arrêter de mettre 350 EUR dans un seul pull lorsque vous nous n’avons aucune transparence sur la production et que rien ne justifie à priori ce prix. Parce que lorsque nous achetons de la sorte, nous n’achetons ni de la qualité, ni une expérience, ni une histoire, ni un échange, ni de la fierté, ni de l’estime et de la satisfaction, mais simplement un objet.
La mode éthique pour être plus heureux
Il est possible de construire une mode plus solidaire aujourd’hui qui nous fasse du bien à tous : le consommateur, votre marque et le producteur. Nous devons arrêter de cloisonner les rôles entre d’un côté le producteur et la marque, et de l’autre la marque et les consommateurs. Nous sommes une équipe, qui partageons quelque chose de très fort, commun à l’humanité : la recherche du bonheur.
Alors remettons l’artisan au centre de nos processus de création, de production et de consommation avant qu’il ne soit trop tard, car ils le méritent ou nous aussi.
La Créatrice- Aurore